Sous le ciel implacable de La Havane, la Plaza de la Revolución ou la Place de la Révolution est un vaste espace de béton qui semble retenir son souffle. Là, le silence matinal cède parfois la place à l’écho lointain d’un discours, au murmure d’une foule disparue ou au cri d’une hirondelle qui fend le vide. Les drapeaux y flottent comme des témoins vigilants d’un passé toujours présent. La Plaza de la Revolución est un carrefour de récits, de regards et d’idéaux, figé entre histoire et éternité.
Située à la Havane, la Plaza de la Revolución est bien plus qu’une simple esplanade : c’est l’un des lieux les plus emblématiques de l’histoire politique contemporaine de Cuba. À la fois place publique, centre administratif et haut lieu de mémoire, elle incarne à elle seule l’esprit de la Révolution cubaine et l’unité du peuple derrière ses dirigeants. Elle donne également son nom à l’une des 15 municipalités de la capitale, s’étendant du Malecón jusqu’au quartier de Vedado.
Avec ses 72 000 m², la Plaza de la Revolución est l’une des plus grandes places urbaines au monde. Elle se présente comme une esplanade rectangulaire, délimitée par les avenues Aranguren, Paseo, Céspedes et de l’Indépendance. Malgré l’austérité apparente des édifices qui l’entourent, leur symbolique est forte : ce sont les sièges des principaux ministères, du Conseil d’État, du palais de la Révolution et de nombreuses institutions gourvernementales.
L’idée d’aménager une vaste place centrale dans la capitale remonte aux années 1920, lorsque l’urbaniste français Jean-Claude Nicolas Forestier imagine un plan d’urbanisation moderne pour La Havane. Inspiré de la Place de l’Étoile à Paris, le projet prévoit une grande esplanade construite sur une colline (la Loma de los Catalanes) à 42 mètres d’altitude, au centre d’un réseau d’avenues rayonnant vers le fleuve Almendares, Centro Habana, le parc de la Fraternité et Vedado.
C’est dans les années 1950, sous la dictature de Fulgencio Batista, que ce plan prend forme. La place, alors baptisée Plaza Cívica, est pensée comme un centre civique monumental, entouré de bâtiments publics prestigieux : bibliothèque nationale, ministères, théâtre national, école des beaux-arts,…
En 1959, après le renversement de Batista, Fidel Castro rebaptise la place du nom de Plaza de la Revolución. Le site devient alors un haut lieu de rassemblement populaire et de mobilisation politique. Discours télévisés, messes papales, commémorations historiques, funérailles nationales… chaque grand moment de la vie cubaine semble y trouver écho.
C'était là que Fidel Castro prononce certains de ses discours les plus célèbres, parfois durant plusieurs heures, devant plus d’un million de Cubains rassemblés pour le 1er mai ou les anniversaires de la Révolution. C’était aussi sur cette place qu’en 1998 et 2015, les papes Jean-Paul II et François avaient célébré des messes historiques. En 2016, la place de la Revolución était devenue le théâtre des funérailles officielles de Fidel Castro, dans un recueillement national d’ampleur mondiale.
Au cœur de la Place de la Révolution, le Mémorial José Marti rend hommage au héros national cubain du XIXe siècle. Il se compose d’une tour pyramidale tronquée de 112 mètres de haut, construite en marbre gris clair de l’île de la Jeunesse, culminant à 142 mètres avec les phares et drapeaux. Aucun bâtiment de La Havane n’a le droit de la dépasser.
À sa base, une statue monumentale de José Marti, assis et pensif, trône face à la place. Réalisée par Juan José Sicre entre 1956 et 1958, elle mesure 18 mètres et est constituée de 52 blocs de marbre blanc, dont une tête sculptée dans un bloc de 18 tonnes. La statue est entourée de 6 piliers représentant les anciennes provinces de Cuba, chacun doté d’un projecteur qui l’éclaire la nuit.
Le mémorial est ouvert au public et abrite un musée installé dans les cinq branches de son socle en étoile. On y découvre des expositions sur la vie et l’œuvre de Marti, des objets personnels, des photos, ainsi que des documents sur la construction du monument et l’histoire de la Révolution.
Des mosaïques de verre doré venues de Venise décorent les galeries. Un ascenseur de 90 mètres et un escalier de 579 marches mènent à un belvédère situé à 129 mètres, offrant une vue panoramique exceptionnelle sur La Havane jusqu’à 60 km à la ronde. Une rose des vents y indique les distances avec 43 capitales mondiales, les six anciennes provinces cubaines et Dos Rios, lieu de la mort de José Marti.
Bien que le projet ait été initié en 1938, les travaux ne débutèrent qu’en 1953 sous Batista, après la démolition de l’ancienne chapelle catalane. Le site fut inauguré en 1958, puis transformé en mémorial en 1996, à l’occasion du centenaire de la mort de Marti, lors d’une cérémonie dirigée par Fidel Castro.
L’esplanade qui entoure la statue est aussi utilisée comme tribune pour les rassemblements politiques. Le mémorial est ouvert tous les jours de 9h à 17h, l’entrée coûte environ 8 CUC pour les touristes, la visite de la base est gratuite pour les enfants. Le personnel sur place est formé pour répondre aux questions sur la vie de José Marti.
Deux figures emblématiques veillent sur la Place de la Revolución depuis les façades monumentales des ministères qui l’entourent. Au nord-ouest de la place, le Ministère de l’Intérieur est célèbre pour l’immense portrait d’Ernesto Che Guevara, réalisé en acier par l’artiste Enrique Ávila, à partir de la célèbre photographie d’Alberto Korda prise en 1960. Sous le visage du guérillero argentino-cubain figure sa devise devenue mythique “Hasta la victoria siempre” (“Toujours vers la victoire”). Ce portrait, illuminé la nuit, est devenu l’un des symboles les plus photographiés de Cuba.
Juste à côté, sur la façade du Ministère des Télécommunications (ou Ministère de l’Informatique et des Communications), une sculpture jumelle du commandant Camilo Cienfuegos, compagnon de lutte de Castro, a été ajoutée en 2009. Elle s’accompagne de l’inscription “Vas bien, Fidel” (“Tu fais du bon travail, Fidel”), en hommage à la loyauté de Camilo envers le leader révolutionnaire.
En outre, d’autres bâtiments marquent également le pourtour de la place :
La Place de la Révolution reste un point d’ancrage majeur de la mémoire politique de Cuba et une étape incontournable des circuits touristiques, notamment lors des célèbres tours en vieilles voitures américaines décapotables.
Moins pittoresque que d’autres places de La Havane, la Plaza de la Revolución reste pourtant incontournable pour comprendre l’histoire, l’idéologie et la culture politique de Cuba. Elle incarne la ferveur révolutionnaire du XXe siècle et rend hommage à José Marti, héros national, dont la statue méditative trône devant une tour panoramique dominant la capitale.
Les portraits géants de Che Guevara et Camilo Cienfuegos sur les ministères environnants rappellent la force des symboles. Les monuments comme le Legado Cultural Hispánico, derrière la Bibliothèque nationale, célèbrent l’héritage intellectuel du pays.
Toujours active, la Place de la Révolution accueille encore des rassemblements populaires, défilés, concerts et cérémonies. Pour son rôle de siège du pouvoir, son ampleur et son importance historique, elle reste un lieu clé de l’identité cubaine.